Les Corbeaux et les Aigles

Les Corbeaux et les Aigles

Avant le 18e s. près de 15 000 Haidas vivaient dans les nombreux villages disséminés le long des côtes de l’archipel Haida Gwaii séparé de la côte nord-ouest de la Colombie-Britannique (Canada) par le vaste détroit d’Hécate. Un siècle plus tard (1862) la population était décimée par la variole. Voici une brève présentation de leur organisation sociale.


Ours Haida, Bill Reid © www.philippepataudcélérier.com
Ours Haida, Bill Reid © Philippe Pataud Célérier

La société Haida est divisée en deux unités appelées moitiés (moieties) : les Corbeaux et les Aigles. La première moitié était subdivisée en vingt-deux lignages (groupe de parenté ou lignées dont les noms dérivent généralement du lieu d’origine du groupe) ; la seconde en vingt-trois lignages. Au sein de chaque lignage se trouvaient des membres des deux moitiés. Car un mariage ne pouvait se conclure qu’entre Aigles et Corbeaux selon ce principe exogamique (il répond aussi à une logique d’expansion territoriale) qui veut que chaque Haida choisisse son ou sa conjointe en dehors de sa moitié. Chaque lignée possédant des droits sur certains cours d’eau (saumons), rivages (flétan, morue) et parcelles de terres (plantes, tabac, chasse, cèdres) afin d’assurer sa survie matérielle (habitats, nourriture) sociale, politique et spirituelle (thuyas géants pour élever des mâts mortuaires par exemple). Tout Haida appartient donc à l’une des deux moitiés dès sa naissance. Société à filiation matrilinéaire (nom et statut social sont transmis par la mère) et patriarcale (c’est l’homme qui détient l’autorité) les enfants deviennent obligatoirement membres de la moitié de leur mère. L’héritier du chef n’étant jamais son propre fils mais le fils ainé de la sœur ainée du chef.

Haida,Totem (détail)  Musée d'Anthropologie de l'Université de Colombie Britannique, Vancouver © ppc
Haida,Totem (détail) Musée d’Anthropologie de l’Université de Colombie Britannique, Vancouver © ppc

Ces groupes de parentés sont placés sous l’autorité d’un leader, dépositaire d’un blason (crest en anglais) sorte de représentation symbolique d’un ancêtre lignager associé à une entité naturelle (animal, végétal ou objet naturel) à laquelle le groupe ou la lignée s’identifie. Il ou elle revendiquant à travers cette entité une commune nature faite de qualités physiques et morales transcendant la nature des espèces. Nulle surprises donc si les corbeaux et les aigles, deux espèces très présentes sur l’archipel, sont à l’origine des deux principaux mythes fondateurs Haida. Pour revendiquer publiquement leur appartenance à l’une des deux moitiés, les membres sculptent ou/et peignent  ces emblèmes familiaux héréditaires sur les grands mâts totémiques plantés devant les maisons nobles, les boîtes et canots funéraires, les proues de canot, les couvertures les vêtements. L’érection d’un mât est toujours l’occasion de grandes fêtes cérémonielles (en particulier pour les Potlach,…) qui au-delà de la publicité faite à l’emblème de l’une des deux moitiés servaient à revitaliser via des cérémonies dispendieuses et ostentatoires une compétitive et nécessaire interdépendance.

Haida, UBC museum of anthropology, Vancouver © ppc
Haida, UBC museum of anthropology, Vancouver © ppc

Si les Haida élèvent toujours des mâts, ils le font aujourd’hui pour réaffirmer leur identité, et ce désormais à travers le monde entier où leurs productions artistiques sont de plus en plus prisées. Montrer, transmettre leurs traditions à l’aune d’événements importants est toujours d’actualité. Dernier exemple en date : 2013 qui vit l’érection d’un mât de 16 mètres de haut dans l’île de Lyell (Gwaii Haanas). Cette œuvre travaillée pendant des mois dans le Haida Heritage Center par le très talentueux sculpteur Jaalen Edensashaw (né en 1980) aidé de son frère Gwaii et de Tyler York a été commandé par le gouvernement fédéral pour fêter le vingtième anniversaire d’une gestion coopérative entre la nation Haida et le gouvernement fédéral sur la réserve de Gwaii Haanas. Chaque partie étant bien sûr consciente que ce nouveau mât sera demain un nouvel atout touristique pour l’île.

Philippe Pataud Célérier © texte et photographies

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